57

Nora venait de tourner à l’angle de Columbus Avenue lorsqu’elle comprit qu’il se passait quelque chose au musée. Des voitures de police, des fourgonnettes de l’identité judiciaire et des véhicules banalisés étaient garés en pagaille sur Muséum Drive, sans parler des camionnettes des équipes de télévision autour desquelles grouillait la meute des journalistes. Inquiète, elle se demanda s’il y avait eu un nouveau meurtre au musée.

Elle accéléra le pas et se dirigea vers l’entrée du personnel.

La police avait veillé à ce que les employés du Muséum puissent se frayer un chemin à travers la foule des badauds et des curieux qui affluaient de toutes parts, alertés par les infos du matin. Pour une fois que Nora n’écoutait pas la radio en se levant... Elle s’était couchée à point d’heure à cause de l’inauguration, et elle n’avait pas entendu son réveil.

— Vous travaillez au Muséum ? lui demanda un agent.

Elle acquiesça en lui montrant son badge.

— Que se passe-t-il ?

— Le Muséum est fermé. Passez par là.

— Qu’est-ce...

Mais le flic s’adressait déjà à quelqu’un d’autre et Nora se trouva poussée vers l’entrée du personnel que surveillait une armée de gardiens. Manetti, le responsable de la sécurité, donnait des ordres en gesticulant.

— Tous les employés du musée sur la droite ! cria l’un des gardiens. Sortez vos badges f

Nora aperçut George Ashton un peu plus loin et elle le rejoignit.

— Qu’est-ce qui s’est passé ?

Il la regarda avec des yeux comme des soucoupes.

— Vous êtes bien la seule à ne pas être au courant.

— Je me suis réveillée en retard, répliqua-t-elle d’un ton irrité.

— Par ici ! aboya un agent de police, Le personnel du Muséum est invité à passer par ici !

Les cordons qui avaient contenu la presse et le public la veille servaient à canaliser le flot des employés. Un sas avait été improvisé près de l’entrée et des gardiens vérifiaient l’identité de chacun en tentant de calmer les esprits.

— Le Hall Astor a été cambriolé pendant la réception, expliqua un Ashton haletant. Ils ont tout pris, tout !

— Tout ?! Même le Cœur de Lucifer ?

— Surtout le Cœur de Lucifer.

— Mais comment ?

— Mystère,

— Je croyais que le Hall Astor était une forteresse imprenable.

— Je le croyais aussi.

— Restez bien sur la droite ! cria un flic. Un peu de patience !

Ashton fit la grimace.

— Il fallait que ça nous tombe dessus le lendemain du jour où j’ai bu cinq coupes de Champagne.

Dix, tu veux dire, pensa méchamment Nora en se souvenant des élucubrations pâteuses d’Ashton à la fin de la réception.

Avec l’aide des gardiens, la police vérifiait les identités de tous les employés auxquels ils posaient des questions avant de les parquer près de l’entrée.

— On soupçonne quelqu’un ? demanda Nora.

— Personne pour le moment, mais la police est persuadée que les cambrioleurs ont bénéficié de l’aide de complices à l’intérieur du musée.

— Préparez vos pièces d’identité ! claironna un flic dans l’oreille de Nora.

Elle sortit à nouveau son badge de son sac à main et l’exhiba au flic.

— Professeur Kelly ?

Un agent en uniforme équipé d’un bloc la prit à part pendant que l’un de ses collègues faisait de même avec Ashton.

— J’ai deux ou trois petites questions à vous poser.

— Allez-y, répondit la jeune femme.

— Vous vous trouviez au Muséum hier soir ?

— Oui.

Tout en prenant des notes, il poursuivit :

— À quelle heure avez-vous quitté le musée ?

— Aux alentours de minuit.

— C’est tout. Mettez-vous par là, on ouvrira les portes dès que possible. Il est possible qu’on ait besoin de vous plus tard pour vous interroger.

Au moment où elle s’éloignait, Nota sourit en entendant la voix d’Asliton derrière elle. Il poussait des glapissements, exigeant qu’on lui lise ses droits.

La jeune femme rejoignit la foule des employés qui attendaient devant l’entrée, frigorifiés. Le temps était gris et la température inférieure à zéro. Les gens se plaignaient de tous côtés, des nuages de buée sortant de leur bouche.

Nora se retourna en entendant un brouhaha du côté de l’entrée principale du Muséum. C’était la meute des journalistes, des cameramen et des preneurs de son qui se précipitaient dans une cohue indescriptible en voyant Frederick Watson Collopy sortir du bâtiment en compagnie du préfet de police Rocker, Une escouade de policiers en uniforme entourait les deux hommes.

Une pluie de questions les accueillit tandis que des dizaines de mains se levaient

Au même moment Nora entendit un cri derrière elle. Elle tourna la tête et reconnut son mari, perdu au milieu de la foule, qui essayait désespérément d’attirer son attention.

— Bill ! s’écria-t-elle en se précipitant à sa rencontre.

— Nora ! lui répondit-il en se taillant péniblement un chemin parmi les badauds

D’une bourrade, il envoya promener un gardien et sauta pardessus le cordon avant de se jeter dans les bras de sa femme.

— Nora ! Si tu savais à quel point tu m’as manqué ! s’écria-t-il en lui collant un baiser magistral sur la bouche.

Le temps de se dégager et la jeune femme lui demanda, le souffle court :

— Bill, que t’est-il arrivé ? Mais tu es blessé ! On dirait que tu as pris un coup sur le crâne.

— Ne t’inquiète pas de ça, la rassura Smithback. Je viens d’apprendre la nouvelle, au sujet de Margo. Elle a vraiment été assassinée ?

Nora acquiesça tristement.

— Je suis allée à son enterrement hier.

— Mon Dieu ! Je n’arrive pas à le croire, murmura-t-il, les yeux brillants de larmes.

— Mais où étais-tu ? Je me suis fait un sang d’encre.

— C’est une longue histoire, j’ai été enfermé dans un asile de fous.

— Quoi ? !

— Je te raconterai plus tard. Moi aussi, je me suis inquiété. Pendergast est persuadé qu’un tueur fou en veut à tous ses amis :

— Je sais, il m’a expliqué la même chose. Mais je ne pouvais décemment pas m’évanouir dans la nature à la veille de l’inau...

— Ce monsieur n’a rien à faire ici, l’interrompit un gardien. Seuls les employés du Muséum ont le droit de se trouver...

Il s’arrêta net en entendant un larsen strident sortir d’un haut-parleur. Le préfet Rocker s’approcha du micro en demandant le silence. Comme par miracle, la foule se tut.

— Je suis accrédité par le Times, en profita pour se justifier Smithback en sortant un carnet de sa poche.

— Tiens, prends mon stylo, lui proposa Nora qui le tenait toujours par la taille.

Sur le parvis du Muséum, le préfet entamait la conférence de presse.

— Hier soir, le Hall Astor où se trouvent rassemblées les collections de diamants du Muséum a été cambriolé. À l’heure qu’il est, nos équipes sont sur place avec les meilleurs techniciens de la police scientifique. Toutes les mesures ont été prises. Il est encore trop tôt pour évoquer des pistes précises, mais vous serez les premiers informés des évolutions à venir. Je suis au regret de ne pouvoir vous en dire davantage, mais notre enquête ne fait que commencer. Je préciserai pourtant ceci : ce vol a été commis par des cambrioleurs aguerris, munis d’équipements extrêmement sophistiqués. Ils semblaient parfaitement connaître le système d’alarme du musée, et ils auront profité de la cérémonie d’inauguration qui se déroulait ici hier soir pour réaliser leur coup. C’est tout ce que je peux vous dire à l’heure actuelle. Professeur Collopy ?

Le directeur du Muséum s’avança. Très droit, il tentait vainement de faire bonne figure, mais sa voix tremblait.

— Je souhaite insister sur ce qui vient d’être dit par le préfet Rocker : toutes les mesures nécessaires ont été prises. La plupart des pierres volées sont aisément identifiable par des professionnels. Tout recel est donc impossible sous leur forme actuelle.

On murmure accueillit la déclaration du directeur. En clair, cela signifiait que les diamants risquaient fort d’être retaillés.

— Je souhaite ici m’adresser à tous les New-Yorkais afin de leur dire que cette perte n’est pas seulement celle du Muséum, mais surtout la leur. À ce point de l’enquête, il est malheureusement impossible de savoir qui a pu commettre un tel forfait.

— Qu’en est-il du Cœur de Lucifer ? cria un premier journaliste.

Collopy marqua visiblement le coup.

— Je puis vous assurer que nous faisons tout ce qu’il est humainement possible de faire.

— Le Cœur de Lucifer a-t-il été volé ? insista un autre reporter.

— Je passe maintenant la parole à la responsable des relations publiques du Muséum, Caria Rocco.

Collopy s’éloigna du micro sous une tempête de questions et Mme Rocco s’avança, les mains levées en signe d’apaisement.

— Je ne pourrai pas vous répondre tant que le calme ne sera pas revenu.

Le brouhaha s’apaisa rapidement

— Mme Lilienthal de la chaîne ABC, fit Rocco en désignant une jeune femme.

— Peut-on savoir si le Cœur de Lucifer a disparu ?

— Oui, il fait partie des diamants dérobés cette nuit.

Tout le monde s’y attendait, mais la consternation n’en était pas moins grande.

— Je vous en prie ! voulut les calmer à nouveau Rocco.

— Le Muséum a toujours prétendu qu’il disposait de systèmes d’alarme inviolables, lança un journaliste. Comment les cambrioleurs ont-ils pu s’y prendre ?

— C’est ce que nous sommes en train de déterminer à l’heure où je vous parle. Mous disposons non pas d’un, mais de plusieurs systèmes d’alarme complémentaires, et le Hall Astor se trouvé en permanence sous la surveillance d’une caméra vidéo. Je peux toutefois vous préciser que les cambrioleurs ont abandonné une partie de leur matériel sur place.

— Quel genre de matériel ?

— Il est trop tôt pour le dire. Il faudra plusieurs jours pour en faire l’analyse.

Plusieurs questions fusèrent et Rocco montra du doigt un journaliste.

— Roger ?

— Quel est le montant de l’assurance ?

— Cent millions de dollars.

Des réactions de stupeur s’élevèrent de la foule. ,-.

— Quelle est la valeur réelle de tous ces diamants ? poursuivit le dénommé Roger.

— Une valeur inestimable. Monsieur Werth de la NBC, votre question ?

— Combien vaut à lui seul le Cœur de Lucifer ?

— Au risque de me répéter, il s’agit d’une pierre d’une valeur inestimable. Je voudrais en profiter pour vous dire que nous avons bon espoir de recouvrer ces pierres, d’une façon ou d’une autre.

Collopy s’avança en direction du micro.

— Les collections du Muséum sont principalement constituées de diamants « anormaux », c’est-à-dire de pierres aisément identifiables à leur couleur. C’est notamment le cas du Cœur de Lucifer qui est le seul au monde à être d’une couleur cannelle aussi prononcée.

Smithback se détacha de Nora et enjamba le cordon qui protégeait l’espace réservé à la presse, la main levée.

— Monsieur Smithback. du Times ?

— Peut-on dire que le Cœur de Lucifer est le plus beau diamant du monde ?

— Le plus beau diamant de sa catégorie, très certainement. C’est du moins ce que s’accordent à dire les spécialistes.

— Dans ce cas, comment justifier la perte d’un tel trésor auprès des New-Yorkais ?

La voix de Smithback tremblait d’une émotion qui traduisait ses épreuves des derniers jours, et peut-être plus encore celle de l’annonce de la mort de Margo.

— Comment le Muséum a-t-il pu laisser commettre un vol aussi insensé ? insista-t-il.

— Personne n’a rien laissé faire, rétorqua Rocco, sur la défensive. Le système d’alarme du Hall Astor est le plus sophistiqué au monde.

— En tout cas, ça n’a pas suffi.

Sollicitée de toutes parts, Rocco leva les bras !

— Je vous en prie ! Laissez-moi parler !

Cette fois, le brouhaha ne s’apaisa qu’à grand-peine.

— Le Muséum regrette plus que quiconque la disparition du Cœur de Lucifer. Nous avons parfaitement conscience de l’importance de ce diamant pour la ville, et le pays en général. Nous comptons tout mettre en œuvre pour rentrer en sa possession, mais de grâce, laissez à la police le temps de faire son travail. Madame Carlson du Post ?

— Une question à l’intention du professeur Collopy. Sans vouloir insister, vous aviez la charge de ce diamant au nom des habitants de cette ville. Je voudrais savoir comment vous comptez personnellement assumer cette responsabilité.

— Les systèmes de sécurité sont mis au point par des êtres humains, ils sont donc à la merci des hommes.

— Je vous trouve bien fataliste, s’étonna Carlson. En d’autres termes, vous êtes en train de nous dire que le Muséum dont vous êtes le directeur ne pourra jamais garantir la sécurité de ses collections.

— Mais non ! s’emporta Collopy. Nous garantissons la sécurité de nos collections.

— Question suivante, s’empressa d’enchaîner Rocco.

Mais il était trop tard. Les journalistes disposaient enfin d’un angle d’attaque, et ils n’allaient pas s’en priver aussi facilement.

— Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par le mot « garantir » ? Le plus gros diamant du monde vient d’être volé alors que vous prétendiez garantir sa sécurité.

— Laissez-moi m’explique r, répliqua Collopy, rouge de colère.

— J’ai comme l’impression qu’on ne parle pas tous la même langue ! l’interrompit Smithback.

— J’ai parlé de garantie pour la simple et bonne raison que le Cœur de Lucifer ne faisait pas partie des diamants dérobés s’écria Collopy,

Un silence stupéfait lui répondit. Abasourdis, Rocco et le préfet Rocker regardaient Collopy avec des yeux ronds.

— Monsieur le directeur... commença Rocco.

— Je vous en prie, laissez-moi parler ! Je suis le seul à être au courant, mais étant donné les circonstances, je ne puis me permettre de me taire plus longtemps. La pierre qui était exposée dans le Hall Astor était une copie, plus précisément un diamant coloré artificiellement par radiation, le véritable Cœur de Lucifer n’a jamais quitté son abri dans les coffres de la compagnie d’assurances du musée. Cette pierre était bien trop précieuse pour être exposée au public, la compagnie d’assurances refusait d’en prendre le risque. Les cambrioleurs, quels qu’ils soient, se sont emparés d’un faux, ajouta-t-il, une lueur malicieuse dans les yeux.

Mars la déclaration de Collopy avait provoqué une véritable émeute.

— La conférence de presse est terminée, merci de votre attention ! cria Rocco au-dessus de la mêlée alors que le directeur s’éclipsait en s’épongeant le front.

À en juger par les réactions hystériques de la presse, il était clair que l’affaire du Cœur de Lucifer ne faisait que commencer.

[Aloysius Pendergast 06] Danse De Mort
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